Michel Charvet, artiste peintre

Cette revisitation de la Bible, sur un ton irrévérencieux et persifleur, pose un regard critique sur les temps anciens et nouveaux, dans un style châtié et moyenâgeux qui côtoie une vulgarité argotique, gommant les barrières temporelles en imbriquant allègrement les millénaires les uns dans les autres. Dans une profusion de remises en question, le texte libère une verve rabelaisienne riche et insolente qui fera bondir les bien-pensants et exulter les mal-pensants.

Michel Charvet se pose en fou du roi, dans un grand éclat de rire, s’inscrivant dans la lignée des Rabelais, des Diderot, des Swift, en jetant par-dessus les moulins le carcan des préjugés et des scléroses, balayant d’un revers de plume le "sacré", se jouant de la Sainte Ecriture, pour sacraliser l’Homme dans toute sa laideur et sa splendeur.

Que l’on se gausse ou non du scabreux et de la paillardise des situations, on se laisse séduire par l’inventivité foisonnante du texte et par un délire poétique de jeux de mots, de rythmes, de sonorités et de rimes internes. Dans notre époque, si terne et lugubre, il se joue des clichés et porte un regard grinçant et incisif sur le monde d’aujourd’hui, déboulonnant, avec l’air de rien, son système de fonctionnement.

Derrière le grotesque et la pornographie parfois débridée se dévoile une satire acerbe et corrosive, dans la veine d’Aristophane. Alliant le comique de farce à la dérision, la narration bascule jusqu’à l’absurde, mettant en exergue les incohérences et les inepties de notre société. La désacralisation de textes sanctifiés, codifiés, intouchables fait exploser les structures rigides d’une pensée unique. 

Vouloir choquer et s’esclaffer sur un sujet aussi sérieux relève d’une gageure impossible à tenir dans un régime totalitaire. Par-delà les tabous, les conventions et le sectarisme, c’est le rire qui envahit tout l’espace scriptural. Que tous les détenteurs de la Vérité se rassurent. Ce nouvel évangile n’attisera pas d'autodafés et n’allumera pas de bûchers sur les places publiques. C’est simplement un immense pied de nez à tous les censeurs qui veulent enfermer l’homme dans une idéologie étriquée. Dans ce siècle, marqué par les guerres de religion et le refus des différences, par-delà le persiflage et la gaudriole, cette parole impertinente, remettant en question le livre sacré, est un hymne à la vie et une ode à la liberté, replaçant l’individu au centre de son monde, en maître de son destin et de son libre-arbitre.

 

Anne-Marie Nahlovsky
Docteur ès Lettres 
Université de Strasbourg
La mort de Jean-Le Baptiste, ©Michel Charvet
La mort de Jean-Le Baptiste (Gouache)

Hérode Antipas, surnommé « Antipasta », en raison de son aversion pour la cuisine romaine et les nouilles en particulier, n’était pas aussi fourbe et tyrannique que son père Hérode le Grand… mais quand même.

Grâce à son pacte d’allégeance à Rome, il gouvernait son royaume de Galilée avec une certaine liberté et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il en profitait... voire en abusait : impôts, prélèvements et taxes en tous genres venaient alimenter les coffres du palais où, le soir venu, tout n’était que beuveries, ripailles et priapées. Dans ce contexte de déliquescence absolue, et pour couronner le tout, le sybaritique Tétrarque entretenait, en toute impunité, une liaison adultérine avec Hérodiade, l’épouse volage de son propre frère.

Contre ces pratiques que réprouvait la loi juive, un homme s’était élevé. Il s’appelait Jean et, depuis près de trente ans, il errait dans le désert, ce qui lui avait forgé le caractère. Et du caractère, il en avait, plutôt mauvais au demeurant…

… Installé depuis peu sur les rives du Jourdain où il tenait tribune, le gaillard n’avait de cesse de pourfendre le régime en place, critiquant, lors d’interminables discours, la vie dissolue du Roi et de sa cour.

— Est-il normal qu’au Palais, martelait-il, tout ne soit que bonne chère et parties de jambes en l’air ?  Alors qu’ici-bas, le peuple est en proie à la misère.

… Puis, agitant, menaçant, son bâton de berger, il haranguait son maigre auditoire :

— Réveillez-vous, gens de peu de valeur ! Chassez l’usurpateur et sa clique de voleurs et de menteurs !! Allez propager la rébellion et libérez-vous de l’oppression !!!

… Enfin, il terminait en prêchant avec véhémence la Parole Divine, annonçant l’arrivée prochaine d’un messie, porteur d’un message de paix, de justice sociale et d’égalité des sexes…

Son discours plaisait et la populace, avide de liberté, adhérait pleinement à ses idées et acceptait de se faire baptiser.

C’est ainsi que Jean devint Jean le Baptiste dit « l’Anarchiste ».

Evidemment, toute cette agitation ne passa pas inaperçue et le Roi fut aussitôt prévenu. Plus diplomate que son père, Hérode Antipas relativisa l’affaire en essayant, dans un premier temps, de museler l’opposant. Pour ce faire, il fit apposer, tout le long du Jourdain, des panneaux sur lesquels était écrit : «  Prêche Interdite ».

L’avertissement sans frais ne fut pas suivi d’effet, car le prêcheur continua de prêcher.

Sûr de son pouvoir, le Roi n’insista pas et laissa « l’excité », comme il  aimait à le surnommer, continuer ses activités.

Mais, si le Monarque était, somme toute, relativement laxiste envers le baptiste, Hérodiade, de son côté, lui vouait une haine tenace…

A cette époque vivait à Babylone un homme nommé Joachim. Tailleur de profession, il avait fait fortune dans la confection et, plus précisément, dans le prêt-à-porter. Respecté mais aussi jalousé, il habitait un petit palais entouré d’un parc arboré qu’il se plaisait à faire visiter.

Joachim était marié à Suzanne, un joli brin de femme dont la beauté n’avait d’égal que la bonté. Ainsi, chaque jour que Dieu faisait, elle allait offrir des douceurs aux enfants qui jouaient innocemment près des bassins d’agrément et ne manquait pas, à cette occasion, de distribuer quelques pièces d’argent aux nombreux indigents.

Or, depuis quelque temps, la belle Suzanne faisait l’objet d’une surveillance particulière de la part de deux septuagénaires, à la mine patibulaire. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces deux vieux libidineux en étaient tombés follement amoureux. La situation aurait pu prêter à sourire si ce n’est que ces vieillards, bien que retraités, étaient aussi dépositaires de l’autorité. Cependant, force était de constater qu’ils rendaient la justice en toute iniquité, profitant même de leur impunité pour taxer, à leur profit, les plus démunis…

Un jour où il faisait particulièrement chaud, Suzanne eut envie de prendre un bain dans l’un de ses bassins… Le dernier visiteur parti, elle fit fermer les portes du parc et, une fois seule, sans aucune retenue, se mit complètement nue.

Planqués comme à l’accoutumée dans les fourrés, les deux vieillards vicelards ne la quittaient pas du regard et, émoustillés par tant de beauté, décidèrent de l’aborder :

— Suzanne, charmante enfant ! Depuis longtemps, tes charmes nous échauffent les sens et réveillent en nous le démon de midi. Je t’en prie, cède à nos désirs et accepte en catimini une petite coucherie.

En découvrant les deux pervers, la jeune femme, surprise, poussa un petit cri et, dans un réflexe de protection, dans l’eau s’accroupit, puis, sans se démonter, leur répondit avec répartie :

— Encore faudrait-il que vous ayez les moyens de vos ambitions. Car, à vous voir ainsi tout décrépis, il y a fort à parier que, du côté caleçon, ce doit être plutôt mollasson !

Conscient qu’il n’en n’avait plus pour longtemps, Jésus s’adressa à ses disciples :

— Mes amis, je sais que mes jours sont comptés. Aussi, avant de passer de vie à trépas, j’aimerais partager avec vous un dernier repas.

Puis il précisa.

—  Je vous donne rendez-vous, ce soir, au resto «  Chez Toto ». Vous trouverez facilement l’établissement, il est attenant au clandé de la grosse Mado.

— Je connais !  dit André. J’y suis déjà allé.  Un peu gêné, il tint à préciser :  Au resto…pas chez Mado.

Jésus esquissa un sourire et conclut :

— Il est bien évident que je compte sur votre discrétion concernant la réunion. Pour l’heure, j’ai encore quelques détails à régler, je vous rejoindrai dans la soirée.

Ceci dit, il prit congé, laissant les apôtres totalement désemparés.

… Jésus avait prévenu. Le repas devait se dérouler en toute intimité. En conséquence de quoi, le dénommé Toto avait baissé ses rideaux et placardé sur la porte d’entrée un écriteau sur lequel était écrit : Fermé pour cause de décès.

En découvrant l’inscription, Jésus pensa qu’il n’aurait pas trouvé meilleure formule. Soulagé de savoir qu’il ne serait pas importuné, il entra par une porte dérobée.

A l’intérieur, les apôtres au grand complet étaient déjà attablés en compagnie de Marie-Madeleine qui, pour rien au monde, n’aurait raté la Cène. Chacun avait choisi sa place en fonction de ses affinités, à l’exception d’André qui dut se décaler pour laisser Marie-Madeleine s’assoir à la droite de Jésus…

… Au moment de servir, le patron, mal à l’aise, expliqua :

— Mes bons Seigneurs !  Je vous prie de bien vouloir m’excuser, mais je n’ai matériellement pas eu le temps d’aller sacrifier l’agneau sacré. Aussi, pour la pâque, vous ai-je fait des œufs et un magnifique lapin en chocolat. Pour ce qui est de la boisson, j’ai un excellent petit vin qui accompagnera merveilleusement le lapin.

Le repas n’était pas banal mais, après tout, aucune loi n’obligeait à manger de l’agneau, fut-il sacré, lors des festivités.

Jésus prit le lapin et le brisa. Puis il partagea les morceaux avec les apôtres. Alors qu’il offrait une oreille à Thomas, il leur dit :

— Prenez et mangez, car ceci est mon corps.

Puis, il versa à tout un chacun un grand verre de vin en précisant :

— Buvez, car ceci est mon sang.

Ce qu’ils firent avec envie, tant le chocolat leur avait donné la pépie.

Le vin et le lapin expédiés, Jésus décida alors de leur laver les pieds.

 — Ne pourrait-on pas plutôt se laver les mains ?  demanda Thomas dont les doigts étaient maculés de chocolat.

Jésus ne répondit pas. Il s’agenouilla,  prit un gant de toilette, une savonnette, puis il trempa les pieds de l’apôtre dans la bassine d’eau tiède et les lui nettoya consciencieusement, en insistant tout particulièrement entre les orteils, endroits les plus souvent négligés et source d’infectiosités.

Lorsque ce fut au tour de Judas, Jésus lui refusa le bain et se justifia :

— Judas ! Ton âme est aussi noire que tes pieds et, pour cela, je devrais te châtier. Mais en deviendrais-tu  meilleur ? J’en doute. Alors, va te faire pendre ailleurs !!

Livide, le traitre quitta sous les huées la Cène, ce qui attisa encore plus sa haine.

Située en Galilée, en bordure de la mer du même nom, Magdala était une charmante petite cité balnéaire dont l’activité économique tournait essentiellement autour des soins  thalasso et des locations de pédalos. Sa réputation n’était plus à faire et s’étendait bien au-delà des frontières. Les affaires allaient bon train… jusqu’au jour où débarquèrent les légions romaines de Tibère. Peu enclins à la balnéothérapie, les nouveaux venus s’empressèrent de piller et de saccager  la paisible station pour en faire  une ville de garnison. Le quotidien de la population, déjà exsangue, devint un véritable enfer : on ne comptait plus les exactions commises à son encontre par les troupes d’occupation…

Petit à petit, la ville perdit tout crédit et bascula dans l’anarchie. Sous l’impulsion de la pègre locale, les hôtels et maisons de maître, jadis luxueux et prospères, se transformèrent en sordides bouis-bouis et boxons de bas-étage, propices à toutes sortes de libertinages. Parmi tous ces personnages peu recommandables, se trouvait Moshé, plus connu dans le milieu sous le sobriquet de Moshé « le débauché ». Ce triste sire tenait un « clandé » malfamé au sortir de la ville sur la route de Nazareth, pompeusement baptisé « Palais des Délices ».

… Marie était une belle fille un peu paumée qui, très tôt, avait voulu s’émanciper en quittant un cocon familial plutôt aisé. Sa naïveté l’avait amenée à exercer toutes sortes de petits métiers sous-payés. Le plus souvent exploitée, elle vivait désormais dans une grande précarité.

Un soir, au bord du désespoir, alors qu’elle arpentait, sans arrière-pensée, le trottoir, elle fut abordée par un homme de fort belle allure, à la mise bien faite et au regard de braise.

— Belle enfant, quel est ton nom, et que fais-tu dans la rue à moitié nue  à cette heure avancée de la nuit ?

— Je m’appelle Marie Cosette et je suis de Magdala. Vous me voyez ci-devant, Pôvre miséreuse, à implorer votre bonté et quémander quelques deniers afin de me sustenter.

Devant une telle détresse, l’ignoble maquereau flaira la bonne affaire, sortit quelques piécettes de sa bourse, les lui tendit et  dit d’une voix douce : 

— Pauvre enfant si démunie, aujourd’hui la chance te sourit, car je suis l’homme de ta vie. Suis-moi, j’ai pour toi de grands projets. Je me présente, je m’appelle Moshé Ténardier, mais tu peux m’appeler Moshé.

D’un geste tendre, il lui prit la main et l’amena vers la porte de la cité où ils disparurent, happés par l’obscurité…