Michel Charvet, artiste peintre

Abraham et Sarah,  ©Michel Charvet
Abraham et Sarah (Gouache)

… Le soir venu, Sarah, refusa de faire tente commune avec le neveu, estimant que ce dernier avait trop longtemps vécu à leurs crochets, et qu’il était désormais assez mature pour partir seul, tenter l’aventure. Elle s’adressa alors à Abraham et lui suggéra :

— Donnons-lui quelques têtes de bétail, à titre gracieux, et qu’il se casse sous d’autres cieux. Nous nous en porterons que mieux. – Puis elle rajouta d’un air entendu. – Connaissant les mœurs du bonhomme, tu n’as qu’à l’expédier à Sodome.

… De son côté, Loth, qui avait de plus en plus de démangeaisons dans le caleçon, accueillit avec satisfaction cette décision, et se réjouit même à l’idée de les quitter pour rejoindre la cité du péché…

Le neveu s’étant éloigné, Abraham se retrouva dès lors seul avec sa moitié. Or, le temps des galipettes ayant disparu depuis belle lurette, leurs soirées se résumaient désormais à de sinistres tête-à-tête. Et ce n’étaient pas les jeux puérils des petits chevaux ou du mikado, qui allaient ressusciter leur libido.

La vérité est qu’ils s’ennuyaient fermement, attendant désespérément l’arrivée d’un enfant. En  voyant son mari dans un tel état de détresse, Sarah l’incita à prendre une maitresse :

— Je vois bien dans ton regard que tu n’es pas insensible aux charmes d’Agar – lui dit-elle – Alors couche avec elle et, avec un peu de chance, elle te donnera peut-être une descendance.

Abraham, qui venait d’atteindre ses cent ans révolus, eut un geste fataliste en désignant « ses chères disparues » mais Sarah, qui se voulait positive, l’encouragea :

— Je sais bien que côté calcif, c’est plutôt poussif, pour ne pas dire passif, Mais, avec l’aide de Dieu, on peut espérer un léger mieux.

En fait de léger mieux, ce fut tout bonnement miraculeux. Car, à peine avait-il « vidé quelques cartouches » avec la bonne, que cette dernière lui annonça, qu’il allait être père. Et, en effet, neuf mois plus tard, naissait un petit être exceptionnel, véritable don du ciel,  que l’on prénomma Ismaël.

 Pour Abraham, cette paternité, pour le moins inespérée, lui avait redonné un certain entrain. Mais, pour Sarah, il en allait tout autrement. Elle, qui avait consenti un immense sacrifice, en poussant son époux dans le lit de sa servante, comment pouvait-elle désormais accepter ce singulier ménage à trois ? D’autant qu’Abraham semblait avoir jeté son dévolu sur la jeune mère et la couvrait de mille petites attentions, ce qui avait le don de faire sortir Sarah de ses gonds : 

— Il ne faudrait pas essayer de me rouler dans la farine. – répétait-elle sans cesse. 

— Je suis peut-être une bonne pâte, il n’empêche que ton fils est un bâtard.

Ignorant les remarques acerbes de son épouse, Abraham restait muet et préférait s’éclipser, laissant seules, en tête-à-tête, les deux harpies se mettre en charpie. Il faut dire que les deux femmes avaient du tempérament et, de par leurs origines respectives, cultivaient une certaine animosité. Bien que toutes deux natives de Babylonie, Sarah était originaire du sud et Agar du nord. Or, depuis des siècles, les deux provinces entretenaient des relations délétères, qui avaient, plus d’une fois, failli déboucher sur une guerre.

Au camp, la vie quotidienne n’était qu’une succession de prises de bec et de crêpages de chignons. Si bien que la situation devint bientôt insupportable. Abraham, la mort dans l’âme et afin d’éviter un drame, décida d’éloigner Agar et son fils. Pour ce faire, il les conduisit, jusqu’à la gare la plus proche et leur prit deux billets aller pour Megiddo, sur la caravane express qui reliait Jérusalem à Antioche. La séparation fut douloureuse ; Abraham qui, à défaut d’avoir le cœur sur la main, l’avait néanmoins  gros, leur donna pour le voyage un panier de vivres et une cruche d’eau. Ce qui, il faut bien le dire, était un peu chiche, pour quelqu’un d’aussi riche.

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