L’Annonciation, ©Michel Charvet
L’Annonciation (Gouache)

Le lendemain, en milieu de matinée, Gabriel survolait Nazareth et se posait pas mal de questions. Ne connaissant pas la région, il avait du mal à s’imaginer une quelconque présence humaine dans ce trou paumé. Incrédule, il décida d’aller voir de plus près et amorça son approche.

A peine s’était-il posé au milieu des pieds de vignes, qu’il fut accueilli par une bordée de jurons et d’insultes. Surgi de nulle part, un vieil homme vêtu de haillons vint à sa rencontre, agitant frénétiquement et de façon menaçante un dérisoire rameau d’olivier. Un peu surpris par la fraîcheur de l’accueil, l’archange haussa le ton et expliqua qu’il était l’envoyé du Divin.

Loin de se calmer, l’ancêtre continua de plus belle :

— Divin ! Divin ! c’est vite dit, moi je pense plutôt avoir affaire à un aigrefin  de Philistin, qui en veut à mes raisins.

Voyant qu’il n’y avait rien à faire pour le faire taire, Gabriel, excédé, saisit le poignet du forcené et l’immobilisa d’une « clé de bras ». Puis, sur le ton de la confidence, lui souffla à l’oreille :

— Ecoute, grand-père, lâche-moi la grappe et dis-moi où se trouve la maison de Marie.

Devant de tels arguments, le vieux donna l’adresse, puis détala sans demander son reste…

Arrivé devant l’adresse indiquée, Gabriel repéra une jeune fille assise au pied d’un amandier, absorbée par une pièce d’étoffe à rapiécer. Dès qu’il l’aperçut, il sut que c’était elle. Toute de blanc vêtue, elle incarnait la vertu. Il l’apostropha :

— Oyez, Gente Damoiselle ! Je suis l’archange Gabriel et je t’apporte une grande nouvelle.

— Si c’est pour le calendrier des PTT ou un placement CNP, j’ai déjà donné,  répondit la donzelle, sans relever la tête.

— Que nenni, ma mie !  Entends, par ma voix, le commandement du tout puissant : «  Ma fille, réjouis-toi, car tu vas bientôt être mère. Je t’ai choisie entre toutes les femmes pour mettre au monde mon fils. Aie confiance et n’aie pas peur, car je suis ton Seigneur. »

— Ben, c’est bien beau tout ça, mais je ne vous connais pas, moi. Et puis, cela ne m’intéresse pas, je suis trop jeune pour avoir un bébé. Et qui va le garder quand plus tard, j’irai travailler.

— N’aie pas d’inquiétude, mon enfant. Je connais des gens. Je te procurerai une nourrice qui sera entièrement à ton service.

— Oui ! bon ! d’accord ! mais c’est que je suis toujours vierge et comment je vais expliquer cette affaire à Joseph, lui qui, dans ce domaine, n’a jusqu'à présent rien pu faire. Il va immanquablement me soupçonner d’adultère. Vous voyez le scandale. Ici, à Nazareth, tout le monde se connaît. Il y aura inévitablement des suspicions, des tensions, si ce n’est des altercations. 

— Bon ! bon ! ça va ! j’enverrai un émissaire expliquer les tenants et les aboutissants de l’affaire à Joseph, je pense qu’il comprendra. En attendant, bien que ma parole ne souffre d’aucune contestation et, pour que tout soit fait dans les règles, je te demande ta permission. Ceci dit, je te signale que je suis déjà intervenu auprès de ta cousine Elisabeth. C’est même elle qui m’a donné ton nom.

— Mais il fallait le dire tout suite,  s’exclama la jeune Marie.  C’est miracle en somme. Alors là, oui :  Qu’il en soit  ainsi !

Gabriel, qui avait mené à bien sa mission, disparut dans un épais nuage de fumée, laissant l’élue bouleversée en pleine crise de mysticisme, prostrée sur son métier.

De retour au bercail, c’est dans le grand bureau directorial que Gabriel, au plus mal, accompagné de son délégué syndical, se plaignait auprès du Bon Dieu :

— Père Eternel, je me suis encore cramé les ailes ! Les types des effets spéciaux me prennent vraiment pour un idiot, leurs produits pyrotechniques sont  trop merdiques. Aussi, je vous le dis Seigneur, c’est la dernière fois que je joue les annonciateurs. D’ailleurs, ce n’est plus de mon âge, dorénavant adressez-vous à un mage.

Dans un premier temps, Dieu songea à le licencier sur le champ mais, conscient du risque de se mettre à dos toute la profession, il proposa à l’archange une mutation, sous forme de reconversion, et l’expédia dare-dare au purgatoire, comme polyvalent à l’Office Céleste de Classification des Ames Perdues.